02 - Donner de l'espace au temps

2 Juillet 2019

Il est 15h. Tout est bouclé, vérifié... les vélos sont dehors, chargés. Ils attendent.

Un petit moment de sieste avant de partir, pour laisser la pression retomber, changer de monde, entrer dans le voyage.

Nous fermons la porte et enfourchons nos montures. Aussitôt nous entrons dans notre bulle, la bulle du voyage lent. Elle était là, à notre porte, elle nous attendait, fidèle...

Nous n'avons fait que quelques mètres, notre maison est toujours là, derrière nous. La rue, les voitures, les piétons, rien n'a changé. Nous sommes encore chez nous et pourtant déjà loin, dans un monde parallèle.

Cette bulle qui nous enveloppe est toute petite. Elle se déplace avec nous, nous accompagne, et nous protège. Dedans : lenteur, pensées vagues, mélancolie parfois... dehors : voitures, gens affairés, ville, vitesse, stress...

« Je n'ai pas le temps » Quelle expression bizarre ! Le temps est la chose la mieux partagée au monde....

« L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant », dit Sylvain Tesson, dans les forêts de Sibérie.

Le voyage à vélo nous a appris (réappris ?) à savourer l'instant : dans notre bulle il y a beaucoup de présent et peu d'avenir. La lenteur donne au présent toute sa place. Le futur attend dehors !

Il n'y a rien de plus délicieux que de partir de chez soi à vélo, de se mettre instantanément dans le rythme du voyage. Même l'étape en train jusqu'à Paris et l'avion jusqu'à Keflavik ne réussiront pas à casser l'ambiance.

Il y a, c'est vrai, une petite appréhension : nous allons vers un pays que nous ne connaissons pas, rouler dans des conditions que nous imaginons sans les connaître... Une mini boule au ventre, les jambes en coton, comme le jour de l'oral du bac... et même ça c'est bon. Il faut y aller, il faut voir, il faut vivre cela !

Un voyage multimodal

Vélo, puis train, puis vélo, puis avion, puis vélo.

D'abord, le petit trajet habituel jusqu'à la gare du Mans. Nous embarquons dans le TGV. La manœuvre est bien rôdée, ce n'est pas la première fois : je monte les vélos et Béatrice me passe les bagages.

A Paris, nous décidons de rejoindre Orly à vélo. L'application Géovélo a calculé un itinéraire adapté : 18 kilomètres de pistes plus ou moins cyclables ou de petites voies résidentielles : Denfert Rochereau, porte d'Italie, Villejuif, Ivry, Thiais, Orly.

Bien sûr, aux abords d'Orly ça se corse un peu. Nous suivons les panneaux, et nous nous retrouvons sur les voies d'accès réservées aux autos. Nos vélos lourds et notre air de débarquer de nulle part nous épargnent sans doute les noms d'oiseaux et les klaxons...

Dans l'aérogare, nous passons en « mode avion » : Pas les téléphones, les vélos.

Il faut regrouper toutes les sacoches dans deux grands sacs à déchets, ficeler le tour et prier pour que ça ne dépasse pas les fatidiques 20 kilos.

Puis on passe aux vélos : retourner les pédales, tourner le guidon, démonter le dérailleur, dégonfler les pneus, aller se laver les mains et se présenter à l'enregistrement.

Les bagagistes nous apprennent qu'il est obligatoire de placer les vélos dans des cartons. Nous protestons (gentiment) : sur le site il est indiqué « carton conseillé ». J'argumente : « Conseillé, ça veut pas dire obligatoire ! C'est d'ailleurs en raison de cette tolérance que nous avons choisi la compagnie Transavia ! »

Le chef appelle son chef, parlemente un moment, puis tout s'arrange : nos vélos sont promptement emballés dans des sacs en plastiques, scotchés avec des étiquettes à bagage, et c'est parti... Nous sommes tombés sur des employés procéduriers, mais compréhensifs et pleins d'humour : « trop tard pour les cartons, on va vous trouver des préservatifs géants ».

Il fait nuit, nous décollons. L'avion met le cap au nord. Nous rattrapons le jour. Dessous, une mer de nuages dans la pénombre.

Descente sur Keflavik. Le commandant de bord annonce « 10° et un peu de pluie ». Effectivement, le plafond est bas et l'avion touche le sol quelques secondes après être sorti des nuages.

Récupération et remontage des vélos. On se fait jeter dehors par la sécurité : « c'est interdit dans l'aérogare. Il y a un endroit pour cela dehors. » On n'insiste pas. Ici comme ailleurs, la police n'a pas d'humour... et puis, c'est vrai : il y a un petit atelier a quelques pas, avec tout ce qu'il faut.

Il est 2 heures du matin (4 h heure française). Nous repartons à vélo direction « The Base Hotel », où nous terminerons la nuit.

Nuit ? En fait il n'y en a pas vraiment. Disons que la pénombre du soir devient pénombre du matin.


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